On peut jouer les Canadiens et préférer parler de « tournant linguistique » (surtout quand on a un accent anglais aussi peu convaincant que le mien).
En quelques mots :
- QUOI ? La thèse centrale de ce « courant de pensée » (en fait, il est difficile de le définir comme tel car on peine à en trouver les initiateurs) est la suivante : la réalité demeure hors de toute prise, le langage seul peut l’exprimer et le langage seul constitue une réalité. En histoire, cela implique de ne s’intéresser qu’au langage ou au discours, qui deviennent donc objets d’étude. Cela se justifie épistémologiquement : étant donné qu’il travaille sur des textes (le plus souvent), que la réalité qu’il analyse n’est accessible que par la médiation du langage puisqu’elle est passée par définition, l’historien n’appréhende en fait que la représentation discursive de la réalité.
Dans cette vision, l’histoire ne serait plus une discipline scientifique, mais deviendrait un genre littéraire, qui doit être appréhendé en privilégiant la critique textuelle. En clair : il n’existe aucune différence entre ouvrage historique et ouvrage de fiction pour les partisans du linguistic turn. Le régime de vérité du discours historique n’est en rien supérieur à celui du roman. C’est bousculer les fondements de la connaissance historique quand à la vérité et à sa quête, ou à la question de l’objectivité de l’historien, et abolir toute différence entre « réalité » et « représentations ». L’histoire ainsi conçue est une activité purement rhétorique.
Signalons au passage que la reconnaissance de l’appartenance du discours historique à la catégorie des récits n’est alors pas tout à fait nouvelle. En 1970, dans un essai provocateur (Comment on écrit l'histoire), Paul Veyne ironise sur les prétentions de l’histoire à échapper aux catégories littéraires du récit et de la mise en intrigue. Michel de Certeau lui avait répliqué en insistant sur l’importance de l’« institution du savoir » et des pratiques qui légitimaient et limitaient les choix d’une écriture historique dont il ne contestait cependant pas la dimension narrative (L’Écriture de l'histoire, 1975). Paul Ricœur, pour sa part, a souligné la force des intentions de vérité du discours de l’historien qui le démarque de la fiction (Temps et récit, 3 vol., 1983-1985). Alors que d’autres historiens (Carlo Ginzburg) se sont efforcés de mettre en évidence les conditions de la production de la preuve ou de la falsification en histoire, Roger Chartier précise que « même s’il écrit dans une forme littéraire, l’historien ne fait pas de la littérature » du fait de sa dépendance à l’archive (qui est l’ensemble des traces d’un réel passé) et aux critères de scientificité ainsi qu’aux opérations techniques de son métier.
- QUAND ? Ce courant historiographique apparaît aux États-Unis à la fin des années 1960. Il s’est érigé comme critique de l’histoire économique et sociale de l’École des Annales.
D’abord essentiellement américain, ce courant touche l’Europe dès la fin des années 1980, et notamment la France (et c’est là que c’est drôle puisqu’on redécouvre alors des auteurs français – Foucault et Derrida principalement – représentants le french feminism pour les Américains alors qu’eux-mêmes n’ont jamais revendiqué une telle appellation), et s’étend progressivement aux autres domaines de la recherche historique. Le linguistic turn influence par la suite la gender history et le new historicism.
- QUI ? Les partisans de cette méthode s’appuient principalement sur la philosophie post-structuraliste des tenants de la déconstruction : Jacques Derrida et Michel Foucault. On peut leur ajouter Roland Barthes et Gilles Deleuze.
Le départ peut être situé au moment de la publication de l’anthologie de Richard Rorty (dir.), The Linguistic Turn. Recent Essays in Philosophical Method (1967).
Il faut aussi citer le livre d’Hayden White, Metahistory. The Historical Imagination in Nineteenth Century Europe (1973).
Pour donner des exemples d’ouvrages historiques accessibles en français qui adoptent cette perspective on peut citer l’historienne américaine Joan W. Scott pour laquelle l’histoire du féminisme, qui est certes une histoire en soi, ne peut être comprise hors d’une analyse critique des discours et des représentations démocratiques (La Citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l'homme, 1998). Parmi les historiens français, ce sont essentiellement Gérard Noiriel (il en est question dans La crise de l'histoire, 1996) et Roger Chartier (Au bord de la falaise. L'histoire entre certitudes et inquiétudes qui date de 1998 et dont on trouverai ici un compte-rendu pour travailler efficacement, ou encore l'article consultable ici) qui ont médiatisé ce courant de pensée.
Pour compléter cette réponse rapide je vous renvoie aussi à l'adresse suivante : http://lethiboniste.blogspot.com/2006_07_01_archive.html
En quelques mots :
- QUOI ? La thèse centrale de ce « courant de pensée » (en fait, il est difficile de le définir comme tel car on peine à en trouver les initiateurs) est la suivante : la réalité demeure hors de toute prise, le langage seul peut l’exprimer et le langage seul constitue une réalité. En histoire, cela implique de ne s’intéresser qu’au langage ou au discours, qui deviennent donc objets d’étude. Cela se justifie épistémologiquement : étant donné qu’il travaille sur des textes (le plus souvent), que la réalité qu’il analyse n’est accessible que par la médiation du langage puisqu’elle est passée par définition, l’historien n’appréhende en fait que la représentation discursive de la réalité.
Dans cette vision, l’histoire ne serait plus une discipline scientifique, mais deviendrait un genre littéraire, qui doit être appréhendé en privilégiant la critique textuelle. En clair : il n’existe aucune différence entre ouvrage historique et ouvrage de fiction pour les partisans du linguistic turn. Le régime de vérité du discours historique n’est en rien supérieur à celui du roman. C’est bousculer les fondements de la connaissance historique quand à la vérité et à sa quête, ou à la question de l’objectivité de l’historien, et abolir toute différence entre « réalité » et « représentations ». L’histoire ainsi conçue est une activité purement rhétorique.
Signalons au passage que la reconnaissance de l’appartenance du discours historique à la catégorie des récits n’est alors pas tout à fait nouvelle. En 1970, dans un essai provocateur (Comment on écrit l'histoire), Paul Veyne ironise sur les prétentions de l’histoire à échapper aux catégories littéraires du récit et de la mise en intrigue. Michel de Certeau lui avait répliqué en insistant sur l’importance de l’« institution du savoir » et des pratiques qui légitimaient et limitaient les choix d’une écriture historique dont il ne contestait cependant pas la dimension narrative (L’Écriture de l'histoire, 1975). Paul Ricœur, pour sa part, a souligné la force des intentions de vérité du discours de l’historien qui le démarque de la fiction (Temps et récit, 3 vol., 1983-1985). Alors que d’autres historiens (Carlo Ginzburg) se sont efforcés de mettre en évidence les conditions de la production de la preuve ou de la falsification en histoire, Roger Chartier précise que « même s’il écrit dans une forme littéraire, l’historien ne fait pas de la littérature » du fait de sa dépendance à l’archive (qui est l’ensemble des traces d’un réel passé) et aux critères de scientificité ainsi qu’aux opérations techniques de son métier.
- QUAND ? Ce courant historiographique apparaît aux États-Unis à la fin des années 1960. Il s’est érigé comme critique de l’histoire économique et sociale de l’École des Annales.
D’abord essentiellement américain, ce courant touche l’Europe dès la fin des années 1980, et notamment la France (et c’est là que c’est drôle puisqu’on redécouvre alors des auteurs français – Foucault et Derrida principalement – représentants le french feminism pour les Américains alors qu’eux-mêmes n’ont jamais revendiqué une telle appellation), et s’étend progressivement aux autres domaines de la recherche historique. Le linguistic turn influence par la suite la gender history et le new historicism.
- QUI ? Les partisans de cette méthode s’appuient principalement sur la philosophie post-structuraliste des tenants de la déconstruction : Jacques Derrida et Michel Foucault. On peut leur ajouter Roland Barthes et Gilles Deleuze.
Le départ peut être situé au moment de la publication de l’anthologie de Richard Rorty (dir.), The Linguistic Turn. Recent Essays in Philosophical Method (1967).
Il faut aussi citer le livre d’Hayden White, Metahistory. The Historical Imagination in Nineteenth Century Europe (1973).
Pour donner des exemples d’ouvrages historiques accessibles en français qui adoptent cette perspective on peut citer l’historienne américaine Joan W. Scott pour laquelle l’histoire du féminisme, qui est certes une histoire en soi, ne peut être comprise hors d’une analyse critique des discours et des représentations démocratiques (La Citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l'homme, 1998). Parmi les historiens français, ce sont essentiellement Gérard Noiriel (il en est question dans La crise de l'histoire, 1996) et Roger Chartier (Au bord de la falaise. L'histoire entre certitudes et inquiétudes qui date de 1998 et dont on trouverai ici un compte-rendu pour travailler efficacement, ou encore l'article consultable ici) qui ont médiatisé ce courant de pensée.
Pour compléter cette réponse rapide je vous renvoie aussi à l'adresse suivante : http://lethiboniste.blogspot.com/2006_07_01_archive.html