
PARIS (AFP) —
Le Parlement ne doit plus légiférer sur l'Histoire ni prescrire le contenu des manuels scolaires, préconise le rapport de la mission d'information sur les questions mémorielles publié mardi, qui exclut toutefois de mettre en cause les lois existantes (Gayssot, Taubira).
Cette mission a été créée au printemps par le président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer (UMP) au lendemain du tollé soulevé par la proposition de Nicolas Sarkozy de "confier la mémoire" d'un enfant victime de la Shoah à chaque élève de CM2. Elle a auditionné depuis historiens, sociologues, philosophes, enseignants...
Le
rapport,
intitulé "Rassembler la nation autour d'une mémoire partagée", souligne d'emblée qu'il n'est
pas question de revenir sur les lois mémorielles déjà votées, loi Gayssot de 1990 sur le négationnisme ou loi Taubira de 2001 sur la reconnaissance de l'esclavage.
Mais "le rôle du Parlement n'est pas d'adopter des lois qualifiant ou portant une appréciation sur des faits historiques, a fortiori lorsque celles-ci s'accompagnent de sanctions pénales".Une recommandation qui fait écho à l'Appel de Blois lancé en octobre à l'initiative de
l'association "Liberté pour l'histoire", fondée par l'historien René Rémond. Ses signataires soulignent que "dans un Etat libre, il n'appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique et de restreindre la liberté de l'historien sous la menace de sanctions pénales".
Plus question donc non plus, selon le rapport, d'affirmer dans la loi, comme en 2005, "le rôle positif" de la colonisation, texte qui avait dû être abrogé à la demande de Jacques Chirac, ou de reconnaître par ce biais le génocide arménien.
Députés et sénateurs pourront toujours "reconnaître des événements significatifs pour l'affirmation des valeurs de la citoyenneté républicaine" mais devront se contenter de simples "résolutions" qui, elles, n'auront pas valeur de vérité d'Etat.En revanche, la mission demande que "toute modification significative de notre calendrier commémoratif emprunte la voie législative". Une façon de clore la polémique suscitée la semaine dernière par le rapport Kaspi, qui propose de limiter à trois - 8 mai, 14 juillet et 11 novembre - les journées nationales de commémoration.
Réaffirmant la nécessité d'un "enseignement obligatoire" de l'histoire à l'école, le rapport Accoyer souligne que le Parlement "ne doit pas prescrire le contenu des programmes" même s'il est "dans son rôle lorsqu'il décide, au titre de sa mission de contrôle de l'action du gouvernement, de se pencher sur l'enseignement de cette discipline".
Une pierre dans le jardin du ministre de l'Education, Xavier Darcos, qui avait plaidé fin octobre, devant la mission d'information, pour que le Parlement tranche ce qui doit être enseigné en histoire, avant de rectifier le tir le lendemain en refusant toute "ingérence" politique dans cet enseignement.
La mission insiste sur le fait que la classe doit rester un lieu de "connaissance" et non de "reconnaissance", allusion à la polémique déclenchée par l'initiative du chef de l'Etat
Elle encourage encore la publication de "manuels communs d'histoire" entre Etats membres de l'UE et propose de relancer la célébration de la Fête de l'Europe, le 9 mai, sous forme d'une "fête des jumelages" au niveau local.
J'EN PROFITE POUR VOUS FAIRE UN PETIT TOPO SUR LE RAPPORT KASPI (en 5 points)
Voici comment il entend lutter contre "l'inflation commémorative".
La "Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques", présidée par l'historien André Kaspi, a formulé dans son rapport cinq axes de réflexion pour tenter d'inverser une tendance paradoxale à la "désaffection" et à "l'inflation commémorative":
- Le constat : trop de commémorations
La Commission juge les commémorations publiques ou nationales trop nombreuses. "Il n'est pas sain", écrit-elle dans un rapport de 47 pages, que leur nombre ait doublé depuis 1999 pour atteindre douze aujourd'hui. "Il n'est pas admissible que la nation cède aux intérêts communautaires et que l'on multiplie les journées de repentance" au risque "d'affaiblir la conscience nationale". Le phénomène entraîne une large désaffection et l'incompréhension, constate le rapport.
1. "Ramener les commémorations nationales à trois dates"
Pour "combattre l'inflation commémorative, même si cela coûte quelques voix aux candidats à des fonctions électives", la commission préconise de ramener les commémorations nationales à trois dates : le 11 novembre pour commémorer les morts du passé et du présent, le 8 mai pour rappeler la victoire sur le nazisme et la barbarie et le 14 juillet qui exalte les valeurs de la Révolution française.
2. Pas de "Memorial Day" à l'américaine
Elle suggère cependant une "révolution lente", constatant qu'il "est impossible de faire disparaître des jours fériés". La commission réfute par ailleurs la "rumeur sans fondement" qui lui prêtait l'intention de faire du 11 novembre un "Memorial Day" à la française, sur le modèle américain de commémoration unique.
3."Décentralisation" des commémorations
Les autres dates deviendraient des commémorations locales, régionales voire privées. De temps à autre, elles revêtiraient un caractère exceptionnel, comme la célébration en 2004 des débarquements alliés de 1944. Il appelle les collectivités territoriales à ne pas tout attendre de l'Etat central, soulignant leur "place primordiale".
4. Inventer de nouvelles formes de commémoration
Il ne suffit pas d'exprimer des exigences à l'égard de l'Education nationale et des médias, estime la commission. Il faut inventer de nouvelles formes de commémoration. Le rapport, qui évoque par exemple le slam, préconise de porter l'effort sur le tourisme de mémoire ou sur des projets pédagogiques élargissant la réflexion autour d'une date à sa signification profonde.
5. Implication des médias
Le rapport préconise, à l'intention de la presse écrite, audiovisuelle et électronique "des programmes ou des événements qui retiennent l'attention des lecteurs et des téléspectateurs".
À lire, en ligne, une
réaction de Nicolas Offenstadt.
Et puis, si jamais vous aviez besoin d'un petit rappel sur ce que sont ces fameuses lois mémorielles...