Le sujet du TD n°3 est en ligne : TD n°3. Histoire et réalité
Un tel sujet pose le problème du rapport de la discipline historique au monde, au réel. Il soulève de nombreux problèmes de définitions et pose la question sous-jacente du statut de la discipline : parle-t-elle du passé ? n’est-elle au contraire qu’un discours qui en dit plus long sur celui qui le tient et sur son époque ?
Définition des termes du sujet
- Histoire : récit des événements du passé. Donc il faut bien garder à l’esprit sa dimension narrative. « Comme le roman, l’histoire trie, simplifie, organise, fait tenir un siècle en une page » (Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, 1971. Noter aussi que la langue française ne dispose que d’un seul mot là où d’autres langues, l’allemand notamment, distingue la Geschichte (discours sur le passé) de l’Historie (les événements du passé eux-mêmes). On a donc tendance, en français, à confondre la connaissance historique avec son objet.
- Réalité : ce qui est (définition très philosophique, qui pose problème aux historiens que nous sommes). À distinguer toutefois de la vérité, qui est « adéquation du savoir au réel », selon Krysztof Pomian, qui adopte ici une posture réaliste.
Mise au point sur les deux grands moments qu’on peut distinguer en histoire des science dans le rapport au réel : posture réaliste d’abord / posture constructiviste dans la période contemporaine, parfois portée à son paroxysme (avec comme conséquence un hyper-relativisme destructeur).
Les historiens des sciences repèrent une rupture fondamentale entre le XVIe et le XVIIIe siècle : la distinction du monde physique (le réel) et du monde phénoménal (monde la manifestation des choses, du côté de la manifestation)
Ex. de l’astronomie : Je vois le soleil qui se lève et qui se couche. Dans le monde physique, ce que je vois est une illusion puisque la terre tourne autour du soleil. Donc la distinction du phénomène et de sa perception est révolutionnaire : la manière dont on voit les choses ne correspond pas forcément à ce qui se passe.
Pour l’histoire et la géographie, est-ce que les discours (au sens large) nous disent le monde tel qu’il est (était) ou s’agit-il d’interprétation qui peuvent donc changer et être contestées ? Si tout est interprétation, comment faire la part entre ce qui est acceptable scientifiquement et ce qui ne l’est pas ?
Dès lors, en histoire des sciences, on peut considérer qu’il y a 2 grands moments dans le rapport au réel :
- La posture réaliste (un peu dépassée actuellement), qui dit que le réel est autonome (il ne dépend pas de ce que l’on peut en dire : le monde existe en tant que tel). Donc notre entendement est considéré comme fiable, il nous permet bien d’appréhender le monde tel qu’il est. Dans cette posture, le discours scientifique est un compte-rendu fidèle de la réalité du monde
- La posture constructiviste (période contemporaine), qui ne nie pas forcément l’existence du réel, mais le déclare inconnaissable en soi. Donc on ne peut l’appréhender qu’à travers un certain nombre de filtres (culturels, sociaux) : des grilles de lecture, des théories. Donc la connaissance est une construction, valable dans un certain contexte, à un certain moment.
Ces questionnements renvoient à la question du relativisme : progrès ? ou dangereuse dérive ?
Poser la question du rapport de l’histoire à la réalité du passé nécessite de décliner les choses à plusieurs niveaux :
1. Quel est l’objet de l’histoire ? Quels matériaux l’historien sollicite-t-il pour construire son discours historique ? Question des sources et de leur caractère partiel (une « connaissance par trace ») et partial éventuellement (le point de vue des vainqueurs, des dominants, de ceux qui ont le pouvoir et/ou la parole). Il faut se poser la question de la crédibilité des sources et/ou des témoignages.
2. Quelles sont les modalités, les moyens pratiques, dont l’historien dispose pour tenter d’atteindre une réalité passée qui, par définition, n’est plus ? Question des méthodes. Cela soulève la question de l’interprétation, et en lien avec elle celle du statut scientifique de la discipline. Noter qu’il y a une difficulté à définir la « science ». Ensemble structuré de connaissances qui se rapportent à des faits obéissant à des lois objectives, i.e. fondées sur l’observation des réalités extérieures (ou considérés comme tels) et dont la mise au point exige systématisation (construction de l’esprit, ensemble de principes et de conclusions formant le corps d’une doctrine) et méthode. Cette dimension « scientifique » suppose une rigueur dans l’élaboration de la connaissance (tant dans le recueil des données, lors de l’enquête préalable à la construction du discours historique, que lors de l’élaboration du récit).
Proposition de plans (notez que ce n'est qu'une proposition d'un plan, mais qu'il peut bien sûr en exister d'autres).
Introduction : Définir les termes du sujet et ses enjeux. Pensez à proposer une problématique.
I. L’histoire est une construction…
Entrent en compte ici les éléments relatifs au caractère construit des sources utilisées par les historiens et à l'élaboration du discours historique (création d'une illusion de continuité, mise en intrigue, notion de récit).
II. …mais l’histoire n’est pas pur discours…
Comme le dit Roger Chartier :
C'est ici que vous intercalez les éléments relatifs à la méthode historique, qui laisse certes la place à la subjectivité, mais n'autorise cependant pas à dire n'importe quoi.
III. ..c’est un récit vraisemblable « Rien qu’un récit véridique » (Chap.I de Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire)
Conclusion : Le régime épistémologique unifié des sciences sociales est fondé sur la plausibilité des énoncés, et non sur le falsifiabilité.
L’opération historique n’est pas :
- une résurrection du passé (position de Michelet)
- une reconstitution (spectacles vivants)
Ex : J.-C. Martin et C. Suaud, Le Puy du fou en Vendée. L’Histoire mise en scène (1996)
M. Crivello, « La geste des temps. Les fêtes historiques. Symbolique et dramaturgie (1957-2002) », in Façonner le passé (2004)
P. Garcia sur la commémoration du bicentenaire.
- « un arrangement » pour Jacques Le Goff
Finalement, il faut toujours se tenir « au bord de la falaise » comme dit Chartier à propos de Michel Foucault, oscillant entre science et fiction.
Pour compléter le cours, voyez la conférence de Jean Leduc, en ligne.
Idéalement, à la fin de ce TD :
- vous êtes au point sur le rapport des différentes écoles historiographiques avec la réalité du passé
- vous avez tous les éléments ou presque pour répondre à une interrogation portant sur "L'histoire est-elle un genre littéraire?"
- vous savez ce que sont le linguistic turn et le narrativisme
Get your own at Scribd or explore others:
.Un tel sujet pose le problème du rapport de la discipline historique au monde, au réel. Il soulève de nombreux problèmes de définitions et pose la question sous-jacente du statut de la discipline : parle-t-elle du passé ? n’est-elle au contraire qu’un discours qui en dit plus long sur celui qui le tient et sur son époque ?
Définition des termes du sujet
- Histoire : récit des événements du passé. Donc il faut bien garder à l’esprit sa dimension narrative. « Comme le roman, l’histoire trie, simplifie, organise, fait tenir un siècle en une page » (Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, 1971. Noter aussi que la langue française ne dispose que d’un seul mot là où d’autres langues, l’allemand notamment, distingue la Geschichte (discours sur le passé) de l’Historie (les événements du passé eux-mêmes). On a donc tendance, en français, à confondre la connaissance historique avec son objet.
- Réalité : ce qui est (définition très philosophique, qui pose problème aux historiens que nous sommes). À distinguer toutefois de la vérité, qui est « adéquation du savoir au réel », selon Krysztof Pomian, qui adopte ici une posture réaliste.
Mise au point sur les deux grands moments qu’on peut distinguer en histoire des science dans le rapport au réel : posture réaliste d’abord / posture constructiviste dans la période contemporaine, parfois portée à son paroxysme (avec comme conséquence un hyper-relativisme destructeur).
Les historiens des sciences repèrent une rupture fondamentale entre le XVIe et le XVIIIe siècle : la distinction du monde physique (le réel) et du monde phénoménal (monde la manifestation des choses, du côté de la manifestation)
Ex. de l’astronomie : Je vois le soleil qui se lève et qui se couche. Dans le monde physique, ce que je vois est une illusion puisque la terre tourne autour du soleil. Donc la distinction du phénomène et de sa perception est révolutionnaire : la manière dont on voit les choses ne correspond pas forcément à ce qui se passe.
Pour l’histoire et la géographie, est-ce que les discours (au sens large) nous disent le monde tel qu’il est (était) ou s’agit-il d’interprétation qui peuvent donc changer et être contestées ? Si tout est interprétation, comment faire la part entre ce qui est acceptable scientifiquement et ce qui ne l’est pas ?
Dès lors, en histoire des sciences, on peut considérer qu’il y a 2 grands moments dans le rapport au réel :
- La posture réaliste (un peu dépassée actuellement), qui dit que le réel est autonome (il ne dépend pas de ce que l’on peut en dire : le monde existe en tant que tel). Donc notre entendement est considéré comme fiable, il nous permet bien d’appréhender le monde tel qu’il est. Dans cette posture, le discours scientifique est un compte-rendu fidèle de la réalité du monde
- La posture constructiviste (période contemporaine), qui ne nie pas forcément l’existence du réel, mais le déclare inconnaissable en soi. Donc on ne peut l’appréhender qu’à travers un certain nombre de filtres (culturels, sociaux) : des grilles de lecture, des théories. Donc la connaissance est une construction, valable dans un certain contexte, à un certain moment.
Ces questionnements renvoient à la question du relativisme : progrès ? ou dangereuse dérive ?
Poser la question du rapport de l’histoire à la réalité du passé nécessite de décliner les choses à plusieurs niveaux :
1. Quel est l’objet de l’histoire ? Quels matériaux l’historien sollicite-t-il pour construire son discours historique ? Question des sources et de leur caractère partiel (une « connaissance par trace ») et partial éventuellement (le point de vue des vainqueurs, des dominants, de ceux qui ont le pouvoir et/ou la parole). Il faut se poser la question de la crédibilité des sources et/ou des témoignages.
2. Quelles sont les modalités, les moyens pratiques, dont l’historien dispose pour tenter d’atteindre une réalité passée qui, par définition, n’est plus ? Question des méthodes. Cela soulève la question de l’interprétation, et en lien avec elle celle du statut scientifique de la discipline. Noter qu’il y a une difficulté à définir la « science ». Ensemble structuré de connaissances qui se rapportent à des faits obéissant à des lois objectives, i.e. fondées sur l’observation des réalités extérieures (ou considérés comme tels) et dont la mise au point exige systématisation (construction de l’esprit, ensemble de principes et de conclusions formant le corps d’une doctrine) et méthode. Cette dimension « scientifique » suppose une rigueur dans l’élaboration de la connaissance (tant dans le recueil des données, lors de l’enquête préalable à la construction du discours historique, que lors de l’élaboration du récit).
Proposition de plans (notez que ce n'est qu'une proposition d'un plan, mais qu'il peut bien sûr en exister d'autres).
Introduction : Définir les termes du sujet et ses enjeux. Pensez à proposer une problématique.
I. L’histoire est une construction…
Entrent en compte ici les éléments relatifs au caractère construit des sources utilisées par les historiens et à l'élaboration du discours historique (création d'une illusion de continuité, mise en intrigue, notion de récit).
II. …mais l’histoire n’est pas pur discours…
Comme le dit Roger Chartier :
« La référence à une réalité située hors et avant le texte historique, et que celui-co a pour fonction de restituer à sa manière, n’a été abdiquée par aucune des formes de la connaissance historique, mieux même, elle est ce qui constitue l’histoire dans sa différence maintenue avec la fable et la fiction »(Au bord de la falaise).
C'est ici que vous intercalez les éléments relatifs à la méthode historique, qui laisse certes la place à la subjectivité, mais n'autorise cependant pas à dire n'importe quoi.
III. ..c’est un récit vraisemblable « Rien qu’un récit véridique » (Chap.I de Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire)
Conclusion : Le régime épistémologique unifié des sciences sociales est fondé sur la plausibilité des énoncés, et non sur le falsifiabilité.
L’opération historique n’est pas :
- une résurrection du passé (position de Michelet)
- une reconstitution (spectacles vivants)
Ex : J.-C. Martin et C. Suaud, Le Puy du fou en Vendée. L’Histoire mise en scène (1996)
M. Crivello, « La geste des temps. Les fêtes historiques. Symbolique et dramaturgie (1957-2002) », in Façonner le passé (2004)
P. Garcia sur la commémoration du bicentenaire.
- « un arrangement » pour Jacques Le Goff
Finalement, il faut toujours se tenir « au bord de la falaise » comme dit Chartier à propos de Michel Foucault, oscillant entre science et fiction.
Pour compléter le cours, voyez la conférence de Jean Leduc, en ligne.
Idéalement, à la fin de ce TD :
- vous êtes au point sur le rapport des différentes écoles historiographiques avec la réalité du passé
- vous avez tous les éléments ou presque pour répondre à une interrogation portant sur "L'histoire est-elle un genre littéraire?"
- vous savez ce que sont le linguistic turn et le narrativisme
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire